vendredi 6 juillet 2012


Lombard le barbare


La presse "traditionnelle" – papier, audio-visuelle – est bien gentille avec Didier Lombard. On y relate platement sa mise en examen, on évoque sobrement le rapport de l’inspection du travail qui "met en cause la politique de gestion du personnel" sans détailler son contenu, et on s’étale sur sa ligne de défense.

À la lire, notre pauvre ex-PDG de France Telecom n’est pas un mauvais bougre : il voulait juste "sauver l’entreprise et ses emplois", une entreprise plombée par son irruption soudaine dans le monde sauvage de la concurrence (c’est vrai que personne ne l’y avait préparée au cours des dix années précédentes…), aggravée par "des règles […] particulièrement défavorables que les pouvoirs publics [lui] ont imposées[1]". On en pleurerait presque.

Passons rapidement sur l’expression "sauver des emplois" s’agissant d’un plan qui visait à en supprimer 22 000 – on est habitués depuis longtemps maintenant au "dictionnaire novlangue" des malfaisants qui nous gouvernent – et venons-en au cœur du sujet : Didier Lombard est-il oui ou non responsable des nombreux suicides de salariés intervenus dans son entreprise en 2008 et 2009 ?

À cet égard, faire l’impasse sur le détail des attendus du rapport de l’inspection du travail est au minimum indigent, de la part du journaliste, voire carrément tendancieux. Qui, dans le grand public, y compris parmi les personnels concernés, sait réellement ce qui a été fait dans le cadre du "Plan Next" mis en place par Didier Lombard et son équipe, et plus précisément du plan "ACT", son volet "RH" ? Qui se souvient que 4 000 cadres et agents de maîtrise ont été sélectionnés pour suivre un "stage de management" dont l’esprit relève de véritables méthodes de tueurs ?

Quand une diapo de l’une des présentations du stage, intitulée "le positionnement du salarié et les phases du deuil" précise que celui-ci passera par six étapes (l’annonce de la mutation, le refus de comprendre, la résistance, la décompression, la résignation, l’intégration), que l’étape "décompression" est sous-titrée "Tristesse, absence de ressort, désespoir, dépression", peut-on croire ces quatre mille "managers", affirmant qu’ils n’ont "pas imaginé" que "certains allaient craquer", et les absoudre, eux, leurs formateurs, leurs donneurs d’ordres, au nom des contraintes du sacro-saint marché, comme si rien ne s’était passé ?

Suis-je passible du désormais célèbre "point Godwin" si je me hasarde, d’aventure, à rappeler que voici un peu plus de soixante-cinq ans, certains se défendirent en affirmant, au choix, qu’ils "ne savaient pas" ou qu’ils n’avaient fait "qu’obéir aux ordres" ?

Comme les sujets de l’expérience de Milgram, ces quatre-mille-là se sont laissé aller à "jouer à Dieu" sous la couverture de leurs prescripteurs. Parmi ceux qui ont causé des morts, ceux qui ont une conscience devront finir leur vie avec ce poids. Ceux qui n’en ont pas devraient au minimum comparaître aux côtés de Didier Lombard, même si je sais qu’aucun syndicat n’ira porter plainte contre eux.

On lit ici et là, sous la plume d’internautes anonymes salariés du privé que ce qu’ont subi les France Telecom est peu de choses en comparaison de ce que vivent au quotidien les employés d’autres secteurs. C’est hélas probablement vrai. Pourtant, au risque d’être gravement "politiquement incorrect", j’aimerais qu’on s’interroge sur les motivations qui ont poussé, à une époque de plein emploi, certains individus à choisir de s’engager dans un secteur "surprotecteur", au détriment de l’intérêt du travail, au risque de subir une hiérarchie pesante, castratrice, sclérosée, adepte de la non-décision et du "parapluie". La vérité, que personne n’ose proférer tout haut, c’est sans doute qu’une grande partie de ces gens n’avaient pas suffisamment confiance en eux-mêmes, en leurs capacités de travail et d'adaptation, en l’avenir, pour affronter bille en tête le monde du "vrai travail".

C’est cette population, plus fragile que les autres, et trahie, au surplus, puisque clairement ce n’est pas "pour cela qu’ils avaient signé" à l’occasion de leur embauche, que Lombard et ses complices ont malmenée sans scrupule, tirant carrément sur l’ambulance.

Vous ne pouvez pas, Monsieur Lombard, prétendre que vous n’y êtes pour rien et que vous ne saviez pas. Vous saviez[2]. Vous saviez et vous en avez décidé sciemment, faisant fi des probables "victimes collatérales" de votre plan et de vos méthodes.

Ce n’est pas de harcèlement moral ni de mise en danger de la vie d’autrui que vous devriez être accusé aujourd’hui. C’est de meurtre avec préméditation.


[1] Cette formulation est due à son avocat. Très exactement « des règles de concurrence particulièrement défavorables que les pouvoirs publics ont imposées à cette entreprise », cf. Le Monde - Économie du 4 juillet 2012

jeudi 15 juillet 2010

Un début à tout

Internet a popularisé l'exhibitionnisme. Sites personnels, blogs, réseaux sociaux, il n'est plus nécessaire d'être par nature une personne publique pour afficher aux yeux du monde jusqu'à ses secrets les plus intimes, voire les plus inavouables.

Non seulement les plus nullissimes représentants de notre pauvre humanité se croient autorisés à déverser leurs déjections cérébrales sur la toile, le plus souvent dans une orthographe qu'il serait carrément flatteur de qualifier d'approximative, mais comme s'il n'y suffisait pas, ils prennent soin d'indexer leurs pages, afin qu'aucune n'échappe aux moteurs de recherche, et n'hésitent pas à inviter la cohorte de leurs amis du net, aussi nombreux que vagues, à contempler leur "oeuvre", à l'instar d'un bambin s'affranchissant des couches, qui exhibe fièrement devant sa maman le caca qu'il a déposé au fond du pot.

Après plus d'une décennie de résistance - présent sur la toile depuis la fin du précédent millénaire - il était temps que je sacrifie moi aussi à l'usage du moment, que je "vive avec mon temps" comme le bêlent docilement les moutons qui font l'opinion des masses, et ceux qui les suivent.

Foin de la fausse modestie : si médiocres que puissent être mes élucubrations, elles n'entacheront pas davantage un espace déjà si largement pollué, et au moins, elles sont écrites en français.

Tout ceci en supposant que je revienne écrire ici, ce que ni ma paresse cosmique, ni en particulier mon goût prononcé pour la procrastination ne garantissent, bien évidemment.

Comme disait Francis Blanche, bonjour chez vous.